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Comme une envie d'écrire...
4 mai 2016

Quand la mort n'a pas le dernier mot

Juste avant le bonheur, d'Agnès Ledig.


Pourquoi ce livre m'a mise en colère.

Pourquoi ce livre m'a fait du bien.

Pourquoi je regrette qu'on n'en parle pas plus...

J'ai entamé ce bouquin après avoir lu, et avoir apprécié de manière très très ambigüe, le dernier livre d'Agnès Ledig : On regrettera plus tard. Je crois que je pourrais écrire un truc là-dessus aussi car j'ai adoré l'histoire, mais j'ai tellement regretté ce "retour à la vie normale" qui s'engage à la fin. Comme si la marginalité était anormale...

Bref !

Revenons à Juste avant le bonheur.
Je pensais lire une histoire "classique" de rencontres peu banales entre personnes éprouvées à leur manière par la vie, car je sais que c'est le style de l'auteur. Je tombe alors sur Julie, vingt ans, faisant un boulot de merde pour pouvoir élever son fils de trois ans. On démarre donc avec une jeune femme ayant eu un bébé à dix-sept ans, de père inconnu puisque conséquence d'une soirée trop arrosée, ayant arrêté ses études et étant obligée de se dépatouiller dans un boulot merdique, avec un supérieur pervers, pour subister.

Aïe ! Ça commence mal !

Paradoxalement, je ne parviens pas à accepter ces clichés-là. Sans doute parce qu'au-delà de ma propre histoire, et de celle de mon fils, que j'ai eu à l'âge de seize ans (sans avoir bu d'alcool et avec un homme qui a assumé jusqu'au bout et assume encore à mes côtés !), il y a l'histoire de toutes ces jeunes femmes qu'on juge, qu'on rabaisse, qu'on stigmatise et, finalement, à qui on laisse peu, si peu d'opportunités d'avoir quelque légitimité face à leur maternité un peu différente. On part tellement du principe que ce genre de chose fait partie des erreurs de jeunesse à éviter...

Mais passons.

Il y a cette rencontre avec un homme d'une cinquantaine d'années, Paul, qui a tout de suite l'air si sympathique qu'on s'y attache. La rapidité avec laquelles les deux protagonistes tissent des liens m'a parue un peu surfaite. Mais qu'importe. On dirait un conte de fée. Un voyage en Bretagne avec Paul, une rencontre avec son fils qui vit un deuil difficile et surtout, la beauté d'un sourire d'enfant face à l'immensité de l'océan. Que demander de plus ?

En fait, rien. Juste ne pas croiser la route d'un destin trop assassin.

Et voilà qu'au retour de ces vacances, l'accident, l'imprévisible, l'impensable. Le truc vraiment con. Le truc qu'on ne peut ni prévoir, ni éviter. Le truc, même, qu'on oublie si facilement quand on prend la route... C'est là que je me suis mise en colère.

Je me retrouvais propulsée en réanimation pédiatrique, dans un contexte difficile de blessures, de séquelles, d'opération, de coma et d'incertitude pour le petit garçon de trois ans qui était bien le seul dans toute cette histoire à se laisser porter par la vie sans aucune résistance. Il y a cette colère incroyable. L'envie de dire : "Hé, ça va quoi ! Si j'avais eu envie de lire un bouquin sur la réanimation pédiatrique et la mort d'un enfant, je l'aurais choisi en conséquence ! Rien dans l'intitulé, ni dans le résumé du livre ne laissait présager ÇA !! Je me sens trompée, trahie. Je n'ai pas envie de lire ça ! Je n'ai pas envie de (re)plonger là-dedans, mais alors pas du tout ! Et puis, si c'est pour nous faire le coup du gamin dans le coma pendant deux semaines, qui se réveille et tout le monde va bien, tout le monde est heureux, j'en ai encore moins envie."

Sauf que ce n'est pas un livre qui raconte ce genre de happy end. C'est un livre qui raconte comment on peut envisager une happy end en dépit de toutes les plus terribles fins qui soient. Quand le petit garçon est mort, j'ai enfin compris.

Ma colère venait de ce que ce roman n'en est pas vraiment un. Ce roman, c'est LA vie. Celle qui commence bien, ou mal, celle qu'on construit comme on peut, celle qui avance bon gré mal gré, celle qui a des projets, qui part en vacances, qui veut voir grandir les gosses... Celle, finalement, qui pense que le pire qui puisse arriver, c'est de se retrouver dans les embouteillages de ce long week-end de l'Ascension...

Mais en fait, parfois, la vie se résume à un gros boum et à un cœur qui s'arrête de battre.

Ce n'est jamais justifié. Ce n'est jamais prévisible. Ça ne tombe jamais bien. On se demande toujours pourquoi. On se dit que c'est vraiment n'importe quoi ! Et on a envie d'écrire à l'auteur que, vraiment, il aurait pu écrire autre chose, bordel ! Sauf qu'il n'y a pas d'auteur dans la vraie vie... Et qu'être en colère ne refait pas battre un cœur...

Après la mort, il y a le deuil.

Je ne me suis pas vraiment reconnue dans tout ce qui a été écrit. Mais tout de même... Il y a plein de choses qui me sont revenues en mémoire, comme des réminiscences puissantes de mon "année blanche" après la mort de ma fille. Cette putain d'année où je crois que la mort planait encore, pas trop loin de moi, comme me tendant la main gentiment. Cette putain d'année où j'ai lutté, lutté et lutté encore pour lui dire merde, tu m'auras pas ! Cette putain d'année où mes fils m'ont tirée des sables mouvants avec leurs petits sourires, leurs petits bras, et leurs grands cœurs. Et où, avec mon mari, nous avons tenté de reconstruire un peu ce qui s'était effondré.

Dans cette seconde partie, l'auteur parle de cette brisure, de cette blessure innommable qu'est la perte d'un enfant, mais que personne ne peut voir de l'extérieur. On a perdu une partie de nous-même, on est comme des amputés, sauf que ça ne se voit pas. Et parfois, c'est difficile de faire face aux gens qui ne savent pas, face à leurs remarques maladroites, face à leur naïveté qu'on leur envie malgré nous, face à leurs exigences parfois bien trop vastes...

Et puis, il y a l'espoir. L'auteur nous parle de cette autorisation à la vie. Et c'est bon. Oui, on peut perdre son enfant et se remettre debout. Oui, on peut perdre son enfant et sourire à nouveau. Avoir des projets, revivre, et même, oui même... être heureux ! Et en fait, c'est quelque chose de si peu évident, que ça fait vraiment du bien de le lire ! La philosophie de cette douleur douce-amère qui nous accompagne partout en même temps que les souvenirs et la rage de vivre, c'est celle qui m'a accompagnée et m'accompagne encore depuis cinq ans qu'elle n'est plus là. Et je suis tellement heureuse d'avoir lu quelque chose qui ressemble enfin vraiment à ce qu'on vit dans la réalité. Cette facilité révoltante avec laquelle la mort s'invite dans la vie. Cette soudaineté... Ces moments où l'on se dit : "si j'étais partie plus tôt, plus tard, si je n'étais pas partie du tout, si j'avais fait ci ou ça..."

Et puis bon... comme il s'agit d'un roman, il y a aussi ces petits messages gentillets mais ô combiens indispensables : quand Julie reçoit de Paul un chèque de 5000€ pour pouvoir faire une jolie tombe à son fils... Pour mon cœur de maman qui n'a pas les moyens de payer une stèle à 2500€ à sa petite fille, ça sonne vraiment, vraiment comme un conte de fée...

Ce livre mériterait vraiment d'être plus connu, lu, et partagé. Car il permettrait peut-être enfin de rapprocher un peu les heureux naïfs des mutilés anonymes...

 

DSCI0006

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Commentaires
M
Bonjour Maëlle,<br /> <br /> Merci beaucoup pour ton commentaire et excuse-moi de te répondre aussi tardivement. <br /> <br /> Alors certes, Juste avant le bonheur n'est pas une lecture facile d'un point de vu émotionnel, mais franchement, je te le conseille, ne serait-ce que pour tout ce que ça ouvre de possibilités sur les évènements de la vie et notre façon de les aborder. <br /> <br /> Concernant mon activité d'auteur, oui j'ai écrit des textes (je n'ose appeler cela "romans" du fait que je n'ai pas été officiellement publiée). Je les donne assez facilement par mail en format pdf. Si ça t'intéresse, je peux t'envoyer mon dernier-né : Des poires au chocolat. <br /> <br /> J'en parlerai prochainement sur mon blog. <br /> <br /> Biz et merci de me suivre ! :)<br /> <br /> M.N.
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M
Toujours aussi bouleversant de vous lire (tombée par hasard sur votre blog j'y viens de temps en temps). Faisant partie je pense des heureuses naïves, je ne sais pas si j'aurai le courage de lire ce livre (vu que je pleure rien qu'en vous lisant) mais qui sait..Vous dites plusieurs fois que vous avez écrit des romans, je me demandais où vous en étiez ?
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Comme une envie d'écrire...
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