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Comme une envie d'écrire...
10 mai 2017

13 reasons why, de Jay Asher

13 reasons why...


La première fois que j'ai croisé ce titre, je crois que c'était sur une publication suggérée de Facebook. Si le chiffre 13 m'a immédiatement interpellée, « reasons » et « why » ne sont pas restés en reste.


13 reasons why...


Le titre n'a pas été traduit, et on peut comprendre pourquoi. C'est l'une de ces fameuses tournures de phrase absolument intraduisibles. Enfin si, elles se traduisent, bien sûr, mais elles perdent alors toute leur fougue, tout leur poids. En français, ça donnerait quelque chose comme : « pourquoi, en 13 raisons. ».


C'est étonnant, me suis-je dit. « 13 » m'a attirée en premier parce que c'est l'âge de ma petite sœur. « Reasons » en second parce que les raisons qui nous poussent à agir, ou à désirer agir, sont parfois très difficiles à identifier, même pour les premiers concernés. « Why », parce que « pourquoi » est un mot que je n'ai cessé de prononcé, à voix haute ou non, durant les sept dernières années, après la mort de mon beau-père, et encore plus après celle de ma fille.


Un titre qui semble être fait pour moi, en somme.


Mais pas que.


Un titre qui semble être fait pour moi, maintenant.


Je me suis renseignée un peu sur ce titre, j'ai appris qu'il s'agissait d'une nouvelle « série événement » sur Netflix, et en général, il ne m'en faut pas beaucoup plus pour me faire fuir dans la direction opposée. J'ai un léger problème avec toutes les « séries événements » que « tout le monde veut voir ». Puis, je me suis rendue compte que ça parlait d'adolescence, de mal-être. Alors, pour le coup, j'ai fuis. Ce n'était pas du tout le moment pour moi de regarder ça. Petit a, parce que j'essaye de devenir l'adulte que je suis censée être, et de laisser ma propre adolescence derrière moi. Petit b, parce que ça fait près de cinq mois que je suis terrifiée à l'idée de ce qu'il pourrait arriver à ma sœur. Petit c, parce que mon fils aura 13 ans cette année, qu'il entre avec naïveté et espoir dans cette période si délicate de la vie, et que je peine déjà suffisamment à dissimuler mes peurs le mieux possible.


En somme, j'ai appliqué la bonne vieille stratégie du « courage, fuyons » !


Samedi, promenade en intérieur, temps de merde oblige, nous sommes montés à la Fnac car j'ai la chance d'avoir des enfants fan de bouquins. C'est là, dans le rayon jeunesse, que ce titre m'a de nouveau sauté à la gorge.


13 reasons why. À chaque fois, j'ai envie de répondre : « ouais, parlons-en ! Pourquoi ?! ». Et si je n'aime pas le principe même de la série (on pourrait longuement aborder le sujet de l'effet boule de neige capable d'annihiler tout sens à un œuvre sous le prétexte fallacieux de garder de l'audience et de continuer à faire du chiffre d'affaire...), je suis beaucoup, beaucoup plus réceptive aux livres... Je l'ai alors pris entre les mains. J'ai lu le résumé. Mon cœur s'est mis à battre une drôle de chamade.


Je précise que je n'avais aucune intention d'acheter ce bouquin, et qu'il s'est passé ce genre de moments étranges où on se retrouve à faire quelque chose sans être capable, même a posteriori, de l'expliquer rationnellement. Je me suis retrouvée dans ma voiture, avec ces 13 putains de raisons entre les mains.


Je me suis dit que j'attendrai d'avoir fini le livre que je suis en train de lire pour entamer celui-là. Il n'y a aucune urgence, n'est-ce-pas ?! Mais la veille, j'avais reçu un appel de ma mère. Le genre d'appel franchement fuyant, où on aimerait savoir des choses qui semblent inaccessibles, où notre interlocuteur se perd en digressions diverses et où on raccroche en se disant : « mais pourquoi je n'ai pas insisté, bon sang ?! ». Alors, j'ai ouvert le bouquin. Là encore, selon le très connu « je ne lis que la première page, histoire de voir un peu à quoi ça ressemble ».


Problème : je ne l'ai plus refermé avant d'avoir lu le dernier mot de la dernière page.


Second problème : ce livre m'a bouleversée...


Après l'avoir lu, j'ai fait un cauchemar atroce. Je me retrouvais au milieu de gens que je connais très bien – d'amis même, oserais-je les qualifier ainsi ! – et sans s'en rendre compte, ils disaient des choses terribles, humiliantes, violentes... à mon encontre. J'ai d'abord pensé que j'avais rêvé de cela uniquement parce que je venais de lire un livre qui parle de cette violence insidieuse, de ces « petits riens », « pas méchants », « pas mesquins »... De ces fameux « t'as pas d'humour », « c'était pour rire », « je ne pensais pas à mal ». De ces grains de sable qui finissent par faire un tas, un énorme tas, étouffant.


Et en fait, j'ai compris que j'avais été cette adolescente-là. Celle à qui on colle une « réputation » parce qu'elle sort du rang, parce qu'elle fait des choses qu'on juge mauvaises, dégradantes. Je ne compte pas les fois où l'on m'a traitée de petite pute, uniquement parce que j'ai été en couple très jeune. Ces fois où, en cours d'éducation sexuelle, on riait et me montrait du doigt, on disait ouvertement à la prof que « Lisa, elle sait, elle ! Demandez-lui ! ». Ces filles qui venaient me voir pour savoir ce que ça fait de coucher et avec qui le faire pour la première fois. Ces garçons qui me proposaient de coucher avec eux uniquement parce que j'avais une réputation de fille facile, et sans passer par la case drague. Ces parents qui refusaient que mes amies, que je connaissais pourtant depuis l'école primaire, continuent de me voir. J'étais l'ado qui a mal tourné, j'étais celle à éviter, le mauvais exemple à ne pas suivre.


La réalité ? J'ai aimé UN homme très tôt, très jeune. Il était plus âgé que moi et nous avons eu notre premier rapport tôt. Mais c'est tout. Cela fait maintenant quinze années que nous sommes ensemble. Je n'ai jamais eu personne d'autre que lui. Et de toute façon, quand bien même j'aurais vraiment enchaîné les garçons, est-ce que cela signifiait que je méritais moins de respect...?! Où en est-on, à la fin, de la condition féminine dans notre culture, dans notre société au XXIè siècle ?!


Je crois qu'il vaut mieux que je passe sur ma première grossesse et ma solitude... mon isolement au sein de ma famille artistique, de mon club qui m'avait accueillie à l'âge de sept ans et vue grandir. Les paroles violentes de mon prof, les gens qui murmurent en me regardant, qui me disent que je l'ai bien cherché. Je ne l'ai pas précisé ? J'avais 16 ans lorsque j'ai eu mon premier enfant. En fait, je le précise rarement. Même encore maintenant...


Bref. J'ai compris que 13 reasons why avait une résonnance incroyable en moi. Et pourtant, je n'en ai parlé à personne autour de moi. J'ai gardé cela comme un secret, pour moi, à l'intérieur de moi, jalousement. Je le sais : je suis encore tellement en colère contre tout ça. En colère contre cette société, contre ses jugements, contre ses enfants qu'elle élève dans la haine de l'autre, la violence, les humiliations. Les « c'est comme ça », « ce sont des histoires de gamins », « c'est une mauvaise période »... Cette résignation coupable. Cette cécité complice. Et je le sais : je n'arrive pas à passer à autre chose et je n'arrive surtout pas à en parler. Lorsque cela m'arrive, je me sens toujours, toujours fautive.


À la toute fin du livre (spoilers pour ceux qui regardent la série, ou lisent cette histoire), l'héroïne – qui s'est donc suicidée – rencontre son conseiller pédagogique. Déjà, bien avant, elle avait tenté d'alerter au moins un adulte, sans succès. Là, elle y va franchement. Pourtant, le conseiller tourne autour du pot, comme pensant qu'elle ne mesure pas toute l'ampleur de ses mots, de ses pensées. Et elle, ses réponses sont suffisamment vagues – on sent qu'elle a tellement de mal à trouver un point de départ à son histoire, à organiser les événements entre eux – que son mal-être devient inexplicable. Et presque... insignifiant, en fait. Le conseiller ne mesure pas le danger dans lequel elle se trouve. Il n'alerte même pas ses parents...


À ce stade-là, toutes mes pensées sont fixées sur ma petite sœur. À ce stade-là, je me dis qu'il faudrait vraiment que quelqu'un apprenne à ces gens, à ces adultes-là, qu'un adolescent sait de quoi il parle, que son ressenti est authentique et qu'il ne s'agit jamais de gamineries, de passades ou que sais-je. À ce stade-là, je me dis qu'il faudrait vraiment remettre au centre de la société ceux qui construiront celle de demain, pour éviter qu'ils ne s'abîment, ne se brisent, pour éviter qu'ils ne craquent, pour éviter qu'ils ne deviennent... et bien ! comme les adultes qui les éduquent ! Résignés, coupables, aveugles....


13 reasons why, c'est l'accumulation de petits faits, gestes, mots violents, humiliants, dégradants, qui deviennent trop lourds à porter. Il n'y a pas un responsable. Il n'y a pas un fait. Il n'y a rien de concret à dénoncer. Il n'y a même pas vraiment de harcèlement avéré. Il y a « juste » une montagne de petits ceci ou de petits celà. Et le pire ? C'est que l'impossibilité de dénoncer un ou des coupables commettant des actes graves décridibilise totalement la parole et le mal-être de la victime ! Voire même on se débrouille pour conclure que la victime est peut-être un peu coupable en fin de compte... Que tout ça vient un peu d'elle...


Mais 13 reasons why, c'est aussi l'espoir.


D'alerter.


Que ça ne recommence pas.


Que tout change.


Que plus jamais personne n'éprouve 13 reasons for...

PS : je tiens à préciser que j'ai mis un temps fou à publier ce billet. J'ai même failli y renoncer. Tout simplement parce que je me sentais super mal à l'idée d'avoir peut-être des commentaires négatifs. Tout simplement parce que j'éprouve encore la sensation tenace que j'exagère, que c'était un peu de ma faute, que certaines personnes sont victimes d'un vrai harcèlement sans avoir rien fait pour le mériter, alors que moi... moi quoi, en fait ?! Ouais... voilà le souci. Dans ce genre d'affaire, les victimes deviennent très vite coupables, au point de ne même plus être capables d'en parler sans avoir honte... Même 15 ans après...

 

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