Est-ce qu'on en parle...?
Il n'est pas fréquent que je sois « fan » de quelque chose. Je déteste ce mot, « fan ». Il est dérivé de « fanatique », et à mes yeux, les émotions et actes extrêmes que ce mot suggère sont des choses dangereuses qu'aucune œuvre ne mérite. Ou ne désir. Car après tout, seul l'argent se nourrit des fans.
Je ne me considère donc pas comme « fan ». J'aime des choses. J'aime des livres, j'aime des films, j'aime des musiques, j'aime des séries. J'aime beaucoup, un peu, pas du tout. Aimer est une chose belle. Quoique aimer dans la mesure semble être compliqué...
GoT n'a pas été une série que j'ai regardé dès qu'elle est sortie. J'en entendais parler et trouvais qu'elle soulevait bien des émotions qui me semblaient un rien excessives. Après tout, ce n'est qu'une fiction ! De ce fait, je n'ai pas eu envie immédiatement de m'y intéresser. Et cela aurait pu durer. C'est mon homme qui a déclenché mon intérêt. D'ordinaire particulièrement peu démonstratif, j'ai vu son émotion un jour à la suite d'un épisode. Je n'ai pas pu faire autrement que voir à mon tour. Mais comme les images sont des choses étranges qui m'effraient souvent, et comme des livres existaient, j'ai d'abord lu. Et j'ai aimé... j'ai beaucoup aimé.
ATTENTION SPOILERS !
La scène qui a donc tout déclenché est celle où Daenerys parvient à conquérir ses Immaculés. Cette simple anecdote un peu longuette devrait permettre à ceux qui n'aimaient pas ce personnage de comprendre dans quel sens tournera ce billet.
Daenerys !
Si belle, si amère, parfois cruelle, incroyablement téméraire, intelligente et courageuse. Cette femme capable, puissante, forte, violente et, en dépit de tout, libre. Cette mère qui dans les livres allaite ses bébés dragons. Rien de tel dans la série ! On peut trancher des gorges et faire des gros plans sur des flots de sang, mais pas voir une femme allaiter des lézards, si magiques soient-ils ! Daenerys est la dernière Targaryen de sang pur, la dernière fille du dragon, insensible à son feu. J'ai aimé ce personnage dès le début et jusqu'à sa fin. Il n'est donc pas aisé pour moi d'analyser objectivement ce dernier épisode, et cette saison dans son ensemble.
Comme beaucoup, pour diverses raisons, j'ai une sensation de gâchis incroyable. Je parlais précédemment de la mort de Cersei Lannister. Je parlais du fait que sa condition de femme l'avait non seulement condamnée à mort, mais en plus condamnée à une mort indigne, stupide, humiliante. La folie de Daenerys est le couperet définitif aux vélléités de modernité que cette série semblait porter.
Pour être honnête, je n'y ai d'abord pas cru. Certes, Port-Réal brûlait, et pour le coup, les showrunners n'ont pas lésiné sur les scènes atroces. C'est affreux la guerre. Ça révolte les survivants. Cette fameuse roue que Daenerys voulait briser, elle l'a elle-même lancée à toute vitesse. Dispenser la mort appelle à la vengeance, et ainsi, chacun son tour, les ennemis s'égorgent mutuellement et trépassent. Je ne cherche nullement à l'excuser. J'aurais aimé qu'elle ait une chance de s'expliquer, j'aurais aimé qu'une psychologie plus fine, jusqu'ici accordée à ce personnage, l'accompagne jusqu'au bout. Je pense qu'il est possible d'être consummée par le pouvoir, par la haine, par le besoin de vengeance. Je pense aussi que ça peut agir comme une ivresse passagère, et que le dégrisement apporte le pardon et la réconciliation.
Je pense à Anakin Skywalker, des destins tragiques de héros brisés, qui ont cru, vraiment cru qu'ils pourraient changer le monde. Qui ont cru, vraiment cru savoir ce qui était juste. Qui ont oublié que la première justice est le libre-arbitre des hommes...
Peut-être qu'en définitive, l'un des grands torts des hommes, c'est de toujours s'en remettre aux puissants, d'aimer leur pouvoir, de les en abreuver jusqu'à ce qu'ils se prennent pour des dieux et deviennent des tyrans. C'est l'erreur que nous avons tous fait en aimant et réclamant avec passion les actes de vengeance que les enfants Stark ont si brillamment accomplis, sans même nous rendre compte que nous les transformions petit à petit en monstres. Sans nous rendre compte qu'ils devenaient précisément ceux-là même qu'ils voulaient combattre. Si, encore, la folie de Daenerys avait pu conduire à un changement radical dans la façon de mener le monde, à une prise de conscience pleine et entière, peut-être l'aurais-je mieux acceptée. Car ses actions n'auraient alors pas été vaines, sa volonté première, alors qu'elle n'était qu'une jeune femme mariée de force à un terrible Khal, aurait été réalisée. Sa perte n'aurait été qu'un des nombreux dommages collatéraux, terribles, certes, mais pas plus que la mort des milliers d'innocents, à Port-Réal et ailleurs, durant les guerres diverses de ces seigneurs, au Mur et au-delà, contre le Night King, contre Joffrey, contre Cersei, pour Robb ou pour Ned, pour des mensonges ou des vérités malencontreusement révélées... Des morts... il y en a plein, toujours, partout. Et c'était précisément cela que Daenerys voulait arrêter.
Lorsque le trône de fer a littéralement été liquéfié par Drogon, quand le Donjon Rouge a littéralement été détruit par Daenerys, j'ai vraiment cru en une fin alternative. Plus de trône, plus de donjon, plus de symboles du pouvoir féodal emprisonnant les hommes depuis des siècles. Mais apparemment, les symboles, pour les showrunners, ne signifient rien. Et tout ça, toutes les batailles, tous les morts, tous les sacrifices, n'auront servis de rien.
Ce roi sur un trône qui n'existe plus, cette salle du Conseil avec ces hommes qui discutent de la reconstruction des bordels de la ville dans une indécence crasse, voilà la véritable tragédie. Non, je ne défends pas nécessairement Daenerys pour ce qu'elle a fait à la fin de sa vie. Non, je ne pardonne pas nécessairement la mort des innocents qu'elle a massacré, repassant encore et encore et encore dans les rues de Port-Réal, « libérant » par le feu et la mort le peuple, se métamorphosant peu à peu en reine des cendres. Mais je regrette qu'on ait si vite oublié toutes ces saisons passées, qu'on ait si vite oublié toutes les épreuves, qu'on ait si vite oublié la bonté qui l'animait et qui l'a conduite là où elle est arrivée. Je regrette que ses combats, justes ou non, qu'elle menait dans l'idée de changer le monde, n'aient qu'apporté qu'une paix bancale dans laquelle rien ne changera décidément jamais.
Et après tout, qui est moins coupable que Daenerys ?
Jon ?
Qui lui plante traîtreusement une dague dans le cœur en lui jurant fidélité ? Ne rejoint-il pas Jaime Lannister, par son odieux régicide, celui qui fut si longuement condamné par le monde entier ? Ne reproche-t-il pas à Daenerys de déraper en établissant elle-même arbitrairement ce qui est juste pour le reste du monde tout en agissant de même ? Car après tout, n'envisage-t-il pas sa trahison par la justice qu'elle suppose ? Qu'est-ce qui fait de Jon une meilleure personne quand la seule réponse qu'il ait trouvé à son désaccord, à son dégoût d'elle pour ce qu'elle a fait et de lui-même pour ce qu'il a laissé faire, fut de la tuer froidement ?
Toutefois, Jon, à l'instar de Daenerys, a lui aussi été victime d'un abandon pur et simple. Les showrunners ont totalement fait fi de la personnalité complexe de ce personnage pour l'endormir totalement dans une loyauté sans fin et sans but, aveugle et pour le coup presque fanatique, l'ayant conduit à ce réveil brutal. Car s'il est vrai que Jon a toujours eu ce côté désespérément loyal qu'avait son oncle Eddard, il avait également une fougue que Ned n'avait pas, une réflexion, une conscience, une approche politique que Ned n'avait pas. Il est injuste que son personnage fut ainsi sacrifié ! Il est d'ailleurs fréquent de lire ou d'entendre que Daenerys était déjà cruelle et lunatique dans les précédentes saisons, car elle a mis à mort les Judicieux de Yunkaï, les Maîtres de Meeren, etc... Mais Jon n'a-t-il pas condamné à mort ceux qui l'avaient piégé et tué ? N'a-t-il pas pendu Olly, ce jeune garçon d'environ douze ans, qui avait agi aux côtés des traîtres ? Le pardon qu'il demande à Daenerys avant de la poignarder, l'a-t-il seulement accordé lui-même ?
Bran ?
Qui affirme être précisément venu depuis Winterfell pour être placé sur le trône (de fer ou non) de Westeros ? Bran qui savait, dans les grandes lignes au moins, ce qui allait se produire et qui n'a rien dit. Il respectait le libre-arbitre des hommes me direz vous, mais à quel moment est-il normal de laisser faire de tels actes ? Il n'est pas possible de condamner aussi durement l'action de Daenerys et ensuite de prétendre que ceux qui savaient n'étaient pas complices jusqu'à la moelle ! Et je ne parle pas de ceux qui devinaient sans oser y croire, tels que Tyrion ou Jon. Je parle de savoir. Bran, on le voit clairement, a toujours su. Et il n'a rien dit. Il a laissé des milliers d'innocents périr pour monter ensuite sur le trône. Si ce sacrifice avait pu servir à bâtir un monde différent, encore, peut-être... mais même pas ! Le véritable usurpateur, c'est peut-être bien lui. Le véritable monstre, c'est peut-être bien lui... Car il détient un pouvoir colossal, sait s'en servir, le mettre à son profit et le rappeler aux hommes qui l'entourent (la scène où il dit qu'il va essayer de localiser Drogon est subtile, mais néanmoins très claire ! Car pour quelle foutue raison souhaiterait-il localiser ce dragon si ce n'est pour rappeler à tous qu'il est capable de le faire ?!). Je trouve injuste qu'il nomme Main du roi Tyrion en justifiant sa décision par le fait qu'il puisse ainsi « réparer tout le mal qu'il a fait ». Quel mal ? Tyrion est l'un des seuls dans toute cette histoire à avoir agi avec amour et pardon en libérant son frère et en essayant de sauver sa sœur ! À quel moment condamne-t-on des hommes comme lui ?! Bran est apparemment lui aussi seul détenteur de la justice...
Sansa ?
À qui tout le monde semble faire confiance puisqu'elle a su pressentir que la future reine des Sept Couronnes n'était pas digne de confiance... Sansa qui ne s'est préoccupée que d'une chose : que le Nord soit libre. Le reste pouvait bien brûler ! Sansa qui parvient à ses fins, se faisant couronner reine du Nord. Je me suis sentie particulièrement mal à l'aise en voyant la scène de son couronnement. Dans son regard, son attitude et jusque dans l'aspect de sa couronne, je voyais Cersei. Sansa, il est vrai, a appris auprès des meilleurs. Cersei, Littlefinger, Ramsay Bolton... Et contrairement à ce que cette série semble avoir toujours affirmé plus ou moins ouvertement, les malheurs, les viols et les coups ne rendent pas plus forts, il détruisent ! Cela rend fou, et Sansa l'est à l'évidence. Qui d'autre qu'une personne aliénée par la douleur et le besoin de vengeance aurait massacré Littlefinger comme elle l'a fait, sans procès, et en dépit de l'aide qu'il avait apportée dans la bataille des Bâtards ? Oui, Littlefinger était un salaud. Est-ce que cela justifie la mort qu'elle lui a donné ? Ne parlons même pas de Ramsay Bolton. Encore une fois, méritée ou non, la sentence n'était rien d'autre que de la vengeance pure, une façon de rendre coup pour coup, et ce n'est certainement pas cet état d'esprit qui changera le monde et brisera la roue. En outre, celui qui applique pareille condamnation ne peut pas s'en sortir indemne.
De fait, ne nous méprenons pas : Sansa n'était pas méfiante vis-à-vis de Daenerys parce qu'elle pressentait sa folie, elle détestait Daenerys parce qu'elle voulait la couronne du Nord, et elle voyait cette nouvelle reine comme un obstacle entre elle et son but. Qu'elle en profite. Les fantômes des Cloches la regardent...
Arya ?
Qui glisse subtilement à Jon qu'elle sait reconnaître un tueur quand elle en voit un... En effet, elle peut ! Elle n'a qu'à se regarder... Les sans-visages ne sont-ils pas une secte d'assassins renommée ? Ce qu'elle a fait en exterminant l'intégralité de la maison Frey, vécu comme une vengeance particulièrement salvatrice par les spectateurs, est-ce mieux ? Est-ce normal ? Est-ce que, vraiment, tous les hommes qui sont morts empoisonnés avaient pris part au massacre de Robb et des Stark ? Et quand bien même ? Quid du fameux pardon demandé si ardemment à Daenerys...? Son départ vers l'ouest ne m'a d'ailleurs pas convaincue une seconde. N'ayant plus de vengeance à concocter, plus de gens à tuer, que pouvait-elle bien faire, qui pouvait-elle bien devenir ? Celle qui n'était « Personne » le redevient...
En définitive, Daenerys n'a pas été le seul personnage assassiné par les scénaristes. À l'instar de Ver Gris, les enfants Stark, ceux pour qui on a tremblé, pour qui on a espéré, ceux qu'on a aimés, ont eux aussi tous basculé.
La scène de conseil improvisé dans Fosse Dragon est proprement surréaliste ! Les seigneurs de Westeros, dont la moitié n'ont pas pris part à la guerre, se réunissent, apparemment pour statuer sur le sort de Tyrion. En réalité pour désigner un nouveau roi. Sur toutes les personnes présentes, Sansa, Samwell, Arya, Bran, Davos et Tyrion savent que Jon Snow est en réalité Aegon Targaryen, sixième du nom, fils légitime de Raeghar Targaryen et de Lyanna Stark et héritier du trône de fer. Qu'ils estiment tous que le règne des Targaryen a fait suffisament de morts et qu'il n'est plus question d'en mettre un sur le trône, admettons. Quoique cela efface un pan entier de l'histoire de Westeros car des Targaryen qui ont fait avancer le monde dans le bon sens, il y en a eu ! Jaehaerys Ier par exemple... Mais qu'il ne le mentionne même pas ?! Pas un seul instant ?! En outre, lorsque Samwell invente brièvement la démocratie, chacun se moque, y comprit Sansa... est-ce donc là le nouveau monde qu'on nous offre ?! Est-ce donc tout ce qu'on fait de l'héritage des combats passés ? Varys, Daenerys, Ned et tant d'autres sont finalement morts pour rien. Mais en définitive, lorsqu'on les compte, ceux qui ont réellement voulu, à un moment ou un autre, changer le monde, n'étaient pas si nombreux. Chacun est las et chacun en convient, pourtant on n'hésite pas à recommencer, se cachant derrière un roi étrange, de pseudos élections qui ne tiendront pas cinquante ans et des chemins si souvent pris qu'ils sont tracés et confortables.
Tiens, puisqu'on en est là. Ser Bronn de la Nera.... On en parle ? Le mec qui reste caché durant la moitié de la série, qui papillonne d'un frère Lannister à l'autre, qui promet la mort puis monnaye la vie, qui ne défend jamais aucune cause juste ou non, se cache comme un rat dans son trou pour réapparaître et toucher son « dû »... Tellement normal, tellement logique qu'un homme pareil gagne ce genre d'honneur. Tout ce que Daenerys la Folle, la digne fille de son père Aerys II le Fou, ne voulait pas... Qui sont les fous en réalité...?
En conclusion, je dirais qu'au jeu des vengeances, on ne gagne jamais, on ne peut que perdre...